
À écouter Éric Heyer, économiste de l’OFCE, sur un plateau de C dans l’air, on comprend vite que le mot « productivité » ne se limite pas à une équation comptable.
Derrière l’indicateur, il y a des réalités humaines : apprentis qu’on intègre à la hâte, salariés démotivés par des décisions brutales, équipes qui survivent à une restructuration mais qui ne s’en remettent jamais vraiment.
Et si, plutôt que de chercher la solution dans un PSE, la voie d’un réengagement collectif constituait le levier de productivité le plus sous-estimé ?
Productivité : l’indicateur qui ment mal
Ce que dit Heyer:
Depuis la crise du COVID, les courbes de productivité se sont affaissées.
Mais l’économiste insiste : il ne faut pas croire que les Français travaillent « moins bien »!
L’augmentation de l’apprentissage, les créations d’emplois dans des secteurs moins productifs ou encore la montée du temps partiel expliquent en partie cette baisse.
La lecture RH:
Sur le terrain, nous voyons la même chose : un collectif fragilisé ne produit pas moins par manque de compétences, mais par manque d’énergie, de vision et de sécurité psychologique.
Le biais macro vs terrain:
L’économiste parle d’agrégats.
Le DRH, lui, vit l’histoire au ras du bureau : une équipe peut perdre 30 % de sa productivité en trois mois après une séparation mal gérée, sans que jamais cela n’apparaisse dans les statistiques.
Réengager sans PSE : l’alternative invisible
Ce qu’on croit:
Beaucoup de dirigeants imaginent qu’un PSE est la seule voie possible pour restaurer la compétitivité.
Réduire la masse salariale = gagner en productivité.
Ce qu’on vit:
Sur le terrain, ces restructurations laissent des cicatrices profondes.
La productivité mesurée peut se redresser, mais l’engagement met des années à revenir.
Ce qu’on propose:
Réengager sans PSE, c’est miser sur le capital humain plutôt que de l’amputer.
C’est s’appuyer sur la rétention, la motivation et l’alignement stratégique des postes clés pour créer des gains de productivité autrement plus durables.
Le lien entre engagement et productivité
Les études:
Gallup le rappelle chaque année : les salariés engagés sont 21 % plus productifs que les autres.
La réalité terrain:
Dans une PME industrielle que j’ai accompagnée, deux équipes identiques produisaient des résultats radicalement différents.
La différence ne tenait pas aux machines, mais à la qualité du dialogue instauré par leur manager.
La traduction économique:
Un salarié qui reste parce qu’il est reconnu, écouté, intégré, fait gagner plus qu’un point de productivité : il fait économiser des dizaines de milliers d’euros en turnover évité, en formation accélérée, en climat social préservé.
Neurosciences : pourquoi le cerveau ne « produit » pas à la demande
Le cortex préfrontal comme moteur:
C’est lui qui pilote la concentration, la prise de décision et la créativité.
Mais il a besoin de sécurité psychologique pour être pleinement mobilisé.
Le stress comme frein:
Un licenciement brutal ou un climat anxiogène saturent l’amygdale.
Résultat : baisse de la productivité invisible, erreurs, absentéisme.
L’engagement comme levier:
Poser les bonnes questions, écouter réellement, donner un cap clair, ce sont autant de déclencheurs neuronaux qui libèrent l’énergie et restaurent la performance.
Comparaison : PSE vs réengagement
Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) / Réengager sans PSE
Coût immédiat Apparent : gain (réduction masse salariale) / Investissement (formation, accompagnement)
Impact productivité court terme / Impact productivité long terme
Dégradation du climat social / Climat social positif entretenu
Perte de la motivation perte de compétences, turnover / Rétention, innovation, fidélité
Image employeur Négative (traumatisme, réputation) / Positive (responsabilité sociale)
Cas concret : une PME a choisi de réengager
Dans une entreprise de services de 120 personnes, le DG était convaincu que seul un PSE pouvait sauver sa marge.
Nous avons travaillé autrement :
- Identification des postes clés et des collaborateurs pivots.
- Entretiens motivationnels pour comprendre leurs besoins implicites.
- Refonte de l’onboarding pour que les candidats contribuent plus vite.
- Mise en place de rituels de reconnaissance et d’écoute active.
Résultat : –15 % de turnover en un an, productivité horaire rétablie sans licenciement.
Et un climat social redevenu respirable.
Comment faire concrètement ?
Évaluer la productivité autrement:
- Ne pas se limiter aux ratios économiques.
- Observer la dynamique des équipes, les signaux faibles de désengagement.
Travailler la rétention:
- Connaître ses talents clés, anticiper leurs besoins, proposer des trajectoires.
- Pratiquer le licenciement bienveillant.
- Quand une séparation est inévitable, la gérer avec respect pour ne pas démobiliser ceux qui restent.
- Investir dans l’onboarding.
Chaque nouvel entrant doit être rapidement contributif, pour ne pas plomber les ratios.
Activer la motivation par neurosciences:
Utiliser le questionnement, le feedback positif, la fixation d’objectifs réalistes.
La vision de long terme : sortir de la tentation du « choc »
Réengager sans PSE, c’est résister à la tentation du court-termisme.
La productivité, au fond, n’est pas un chiffre, mais une énergie collective.
Les économistes la mesurent, mais ce sont les équipes qui la vivent.
Comme le dit Heyer, la productivité peut se redresser sans restructuration massive.
Mais cela suppose de croire dans la valeur du capital humain – et d’agir en conséquence.
Et si la vraie restructuration était intérieure ?
Plutôt que de tailler dans les effectifs, réengager sans PSE consiste à restructurer nos pratiques de management, nos façons d’intégrer, de reconnaître, d’écouter.
La productivité durable se construit là.
Dans le cerveau de salariés motivés, dans des collectifs sécurisés, dans des dirigeants qui choisissent le courage du long terme plutôt que la facilité du couperet
