
Le paradoxe d’Éric Heyer
Sur un plateau télé, Éric Heyer résume en quelques phrases la situation française : oui, l’emploi augmente, mais dans des postes souvent moins productifs.
Les chiffres rassurent — le chômage recule — mais la productivité ne suit pas.
Sur le terrain, ce paradoxe a un nom : le turnover.
Derrière l’apparente création d’emplois, ce sont des départs répétés, des remplacements improvisés, des apprentis à peine intégrés.
Et chaque départ, chaque arrivée mal accompagnée, ronge la productivité.
Quand la productivité se dilue dans les départs
Le coût visible : recruter, former, intégrer
Un salarié qui part entraîne immédiatement des frais : annonces, entretiens, cabinet de recrutement, intégration.
L’Insee estime qu’en moyenne, le coût direct d’un recrutement équivaut à 20–30 % du salaire annuel du poste.
Le coût invisible : perte de savoir-faire et d’énergie
Ce que Heyer mesure en productivité macro se vit ici :
- un projet qui prend du retard,
- des clients qui ressentent la désorganisation,
- une équipe qui perd confiance.
Dans une PME que j’ai accompagnée, la perte de deux techniciens qualifiés a entraîné six mois de retard sur le carnet de commandes.
La direction a imputé la baisse de marge à “la conjoncture”.
En réalité, c’était du turnover, de l’intérim supplémentaire, de l’absentéisme, des heures supplémentaires et réclamations d’augmentation de salaire.
La rétention, ce moteur caché de productivité
Selon l’enquête mondiale de Gallup (2023), les équipes avec un fort engagement affichent 20 % de productivité en plus et 59 % de turnover en moins.
En d’autres termes : fidéliser rapporte plus que recruter.
La logique économique s’établit ainsi :
- Rétention = amortissement du coût de formation.
- Rétention = effet cumulé d’expérience (on parle de learning curve).
- Rétention = climat social stabilisé, donc plus de concentration sur la performance.
- Rétention = attractivité et compétitivité
Exemple terrain
Une entreprise logistique que j’ai conseillée perdait 25 % de ses effectifs chaque année.
Après avoir investi dans un plan de rétention, le turnover a chuté à 12 %.
Le résultat en productivité horaire s’est révélé en hausse de 15 %.
Neurosciences de la fidélité : pourquoi les salariés restent
Un cerveau humain reste fidèle quand il se sent :
- Reconnu (activation du circuit de la dopamine : plaisir lié à la reconnaissance).
- En sécurité (cortex préfrontal activé → concentration et projection possible).
- Appartenant (besoin d’appartenance de Maslow, renforcé par l’ocytocine).
À l’inverse, quand l’amygdale est saturée par le stress, le cerveau cherche la fuite : c’est le départ, parfois brutal.
Les illusions managériales autour du turnover
Illusion n°1 : “On remplace facilement”
Un départ n’est jamais neutre. Même dans un poste dit “standard”, la perte d’expérience coûte. l’mage de l’employeur est ternie.
Illusion n°2 : “On recrute des jeunes, ça coûtera moins cher”
Heyer rappelle que l’augmentation des apprentis tire mécaniquement la productivité moyenne vers le bas.
Sans onboarding stratégique, cette logique est perdante pour la productivité.
Illusion n°3 : “Le turnover prouve que notre entreprise est dynamique”
Non : un turnover trop élevé signale une perte de capital humain.
Les clients et investisseurs le savent.
Stratégies de rétention qui fonctionnent
- Identifier les postes clés
- Tous les départs n’ont pas le même impact. Une cartographie des postes stratégiques permet de concentrer les efforts de rétention.
- Plan de succession et trajectoires
- Anticiper les départs (retraites, évolutions) évite les ruptures brutales.
- Onboarding renforcé, accompagné 30,60, 90 jours et plus
- Chaque nouvel arrivant doit devenir contributif rapidement
- Licenciement bienveillant
- Quand une séparation est inévitable, la gérer correctement évite un effet domino de départs .
- Rituels de reconnaissance et motivation
- Feedback, écoute active, fixation d’objectifs atteignables
Cas d’école : un turnover qui ruine la productivité
Dans une société de conseil (150 salariés), le taux de turnover atteignait 30 %.
Symptômes : missions bâclées, clients insatisfaits, managers épuisés.
Action : diagnostic RH → les jeunes recrues partaient faute d’intégration.
Mesures : programme de mentorat, budget formation doublé, espaces de feedback collectif.
Résultat : turnover divisé par deux en 18 mois, chiffre d’affaires en hausse de 12 %.
Heyer dirait : “la productivité se redresse”.
Le DRH dirait : “les gens restent”.
Les deux parlent du même phénomène.
De l’économie au terrain : traduire Heyer en action RH
- Macro : productivité baisse car plus d’apprentis et de postes peu productifs.
- Terrain : productivité baisse car on ne garde pas assez longtemps les talents.
- Action : rétention active → levier direct de productivité durable.
- Conclusion : et si la fidélité était le vrai KPI ?
Le turnover ne se mesure pas seulement en coûts de recrutement.
Il détruit la productivité, l’innovation, la confiance.
La rétention, au contraire, alimente une spirale positive : plus de compétences, plus de motivation, plus de performance.
Réengager sans PSE, retenir les talents, soigner les séparations, renforcer l’onboarding et activer la motivation par les neurosciences : voilà le vrai cercle vertueux de la productivité.
